16 août 2010

Après la démocratie, Emmanuel Todd

L’historien Emmanuel Todd a publié en 2008 l’essai intitulé « Après la démocratie », analyse de la politique de Nicolas Sarkozy et des principales tendances de la société française. Cet ouvrage est particulièrement pertinent, avec le recul des 2 années qui ont suivi sa parution.

La première partie est consacrée à l’élection puis à la politique de N. Sarkozy. Emmanuel Todd nous y décrit le basculement en cours de notre société, dans un système post-démocratique où une oligarchie ne cherchant qu’à maximiser son profit manipule une passe de citoyens en voie de paupérisation, retraités, cadres et intellectuels compris.

- La situation réelle de la France

La France figure parmi les pays les mieux lotis de la planète (niveau de vie élevé, infrastructures et services publics de qualité, fécondité convenable, criminalité faible). Cette réalité est totalement différente du discours présidentiel, pour qui la France est en déclin, rongée par l’insécurité, que seule une libéralisation accrue pourra endiguer.

« Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu devenir président de la République ? Fébrile, agressif, narcissique, admirateur des riches et de l'Amérique bushiste, incompétent en économie comme en diplomatie, cet homme nous avait pourtant révélé, ministre de l'Intérieur, qu'il était incapable d'exercer la fonction de chef de l'État : ses provocations avaient alors réussi à mettre le feu aux banlieues dans l'ensemble du pays».

«Infatigable, il a, en quelques mois, exaspéré nos partenaires européens et spécialement les Allemands par sa prétention, affaiblissant la France dans la Communauté. En menaçant l'Iran de bombardements préventifs, en expédiant des soldats français dans le golfe Persique et en Afghanistan, Nicolas Sarkozy a mis en action, simultanément, ses tendances agressives et son incompétence diplomatique : transformer les soldats français en supplétifs de l'Amérique ne peut que ruiner la position de notre pays dans le monde».

«Un président hyperactif mais impuissant, pédalant vigoureusement sur une version politique du vélo d'appartement».

« Au fond, nous devrions être reconnaissants à Nicolas Sarkozy de son honnêteté et de son naturel, si bien adaptés à la vie politique de notre époque. Parce qu'il a réussi à se faire élire en incarnant et en flattant ce qu'il y a de pire autour de nous, en nous, il oblige à regarder la réalité en face. Notre société est en crise, menacée de tourner mal, dans le sens de l'appauvrissement, de l'inégalité, de la violence, d'une véritable régression culturelle».

«Ni au lycée ni à l'université, Nicolas Sarkozy ne fut un brillant sujet. Il a redoublé sa sixième, n'a obtenu aucune mention au baccalauréat et a achevé sans hâte les études de droit qui lui ont permis de devenir avocat... L'incohérence intellectuelle du président bling-bling, sa capacité à dire tout et son contraire, son mépris des bonnes manières, bref son manque d'éducation ont pu plaire aux citoyens qui se considèrent comme des laissés-pour-compte du système éducatif... »

- Éducation et démocratie :

Pour l’historien, deux facteurs sont à l’origine de la démocratie : l’alphabétisation de masse et la fracture ethnique.

Concernant l’alphabétisation de masse, le fait est avéré : on l’a observé dans toutes les démocraties émergentes. L’ethnicisation de la société est en revanche plus difficile à admettre : pourtant, Emmanuel Todd décrit avec brio les «bénéfices » de la désignation de boucs émissaires, d'Athènes (méthèques et esclaves) aux Etats-Unis (noirs). En France et en Angleterre, la colonisation de peuples étrangers (inférieurs) aurait joué ce rôle. Une fois installée, la démocratie n’a plus besoin de ce genre de « stimulant »… à moins qu’elle soit menacée, comme c’est le cas aujourd’hui !

- Le vide religieux

Emmanuel Todd remarque le vide religieux actuel qui déstructure notre société, après avoir entraîné la chute du parti communiste et des syndicats. «Tout se passe comme si le PCF et l'Église avaient constitué un couple, et que le stalinisme ne pouvait survivre à la disparition de son double négatif (...). Privé d'adversaire, il doute, fléchit et s'effondre,» écrit-il. «Alors commence la quête désespérée du sens qui, banalement, va se fixer sur la recherche de sensations extrêmes dans des domaines historiquement répertoriés : argent, sexualité, violence - tout ce que la religion contrôlait»

La religion désigne (étymologiquement) tout ce qui relie les hommes (foi chrétienne, militantisme politique…). Quand l’esprit religieux disparaît, et avec lui les réseaux de convivialité, les individus se retrouvent impuissants face au pouvoir ; solitude aggravée par l’absence de classes moyennes supérieures noyées dans le (trop grand) succès du système éducatif !

Autrefois, les études supérieures n’étaient réservées qu’à une élite. Aujourd’hui, 1/3 de la population adulte accède à une éducation supérieure. Il ne s’agit donc plus d’une élite, mais d’une masse. D’où le danger de «se renfermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple et du populisme qui naît en réaction à ce mépris», écrit-il.

La fin des religions et le fossé creusé entre les classes populaires et les « intellectuels » (1/3 de la population adulte) a mis fin au dialogue social, compromettant la démocratie. Ainsi, la classe supérieure (1% de la population) au pouvoir, en a profité pour imposer ses idées qui suivent un intérêt privé et immédiat, contraire à un intérêt collectif.

- Plaidoyer pour la préférence communautaire

Le libre-échange, mis en avant par nos dirigeants, ne profite pas à l’Europe globale. Emmanuel Todd avance ici sa thèse pour la « préférence communautaire ». Face au dumping monétaire pratiqué par la Chine, l’Europe devrait réagir pour sauvegarder ses emplois et son industrie. Le faible cours du yuan constitue une concurrence déloyale pour les entreprises européennes, tout en privant les ouvriers chinois d’une juste rémunération.

Si le système ne change pas, c’est que les dirigeants y trouvent leur intérêt (du moins à court terme) : les multinationales profitent d’une main d’œuvre & matière première à faibles coûts, qui leur permettent d’augmenter leurs marges. La délocalisation n’est pas une fatalité, mais un choix, dicté par un impératif de rentabilité. Que penser des conséquences à long terme qui entraîneront une société d’inégalités et de violence ?

- Les attaques contre la démocratie

Comme le rappelle Emmanuel Todd, il ne suffit pas de voter pour être en démocratie (cf Corée du Nord par exemple), mais plutôt d’avoir des contre-pouvoirs et institutions efficaces (partis d’opposition, justice, médias). La France « est plus proche de l’Algérie de Bouteflika que de l’Allemagne de Merkel ». Ceci fait le jeu des partisans du libre-échange et de l’ouverture des frontières.

Le libre-échangisme voulu par la strate supérieure (1% de la population - narcissique), n’a pour principal objectif que d’accroître ses gains, sans se préoccuper de la solidarité nationale ou européenne (pas de préférence communautaire, évasion fiscale).

- Mais alors, que faire ?

E. Todd se veut néanmoins rassurant en ce qui concerne la coupure entre les classes populaires et les classes moyennes éduquées : «Rien de définitif dans ce constat : l'appauvrissement en cours des jeunes éduqués supérieurs nous promet un revirement dans les décennies qui viennent». Les émeutes récentes en Grèce illustrent peut-être ce qui attend la France et le reste de l’Europe dans les années à venir.

Seulement, sans parvenir à mettre un terme au « libre-échangisme » et à la désindustrialisation de l’Europe, il est à craindre qu’elles n’entraînent, plus qu’un renouveau démocratique, une crispation autoritaire.

Pour résumer :
1) Monopolisation du pouvoir d’un seul homme :
- Déculturation des élites, qui ne fournissent plus de repères
- Frustration des 33% appartenant à la classe moyenne, victime de la crise, qui se renfermesur des critères identitaires
- Désespoir de la classe d’en bas, tant qu’elle a quelque chose à perdre

2) Évolution de la société française :
- Vide religieux + Islamophobie
- Stagnation éducative
- Polérisation de la société (oligarchie contre le reste)

3) Formes d’évolution politiques possibles :
- République ethnique
- Suppression du suffrage universel
- Protectionnisme européen

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